L’alchimie naturelle dans le vignoble : maturité, surmaturité, botrytis
Rôle crucial de la maturité physiologique
La première étape pour comprendre la formation des sucres, c’est la maturité du raisin. Le cépage phare de l’Anjou blanc moelleux n’est autre que le chenin blanc. Doté d’une très forte acidité naturelle et d’une grande concentration en sucres lorsqu’il est poussé à son optimum de maturité, le chenin est idéal pour la production de vins moelleux.
Pendant la véraison, la plante mobilise son énergie pour transformer les acides en sucres dans la baie. Ces sucres sont essentiellement du glucose et du fructose, provenant directement de la photosynthèse des feuilles. Le niveau de sucre à la vendange dépend d’un équilibre délicat entre l’exposition au soleil, la charge du cep, la nature du sol (schistes, craies tuffeaux ou argiles des Mauges), et… la patience du vigneron. On atteint régulièrement des niveaux de 220 à 260 g/l de sucres dans le raisin lors des belles années (source : Union des Oenologues de France).
La surmaturité et le tri manuel
Pour un vin moelleux, il ne s’agit pas de vendanger au moment où le raisin est simplement mûr. Non, ici, il est question d’attendre que la grappe atteigne un stade appelé surmaturité, voire “passerillage” sur pied.
- L’eau s’évapore, les baies se concentrent en sucre.
- Les arômes deviennent plus complexes, évoquant la pâte de fruits ou la marmelade.
- L’acidité demeure, essentielle pour donner au vin son équilibre final.
La récolte s’effectue souvent en plusieurs passages (“tris successifs”), où les vendangeurs choisissent à la main chaque baie à l’optimum. En Anjou, il n’est pas rare que 4 à 6 tris soient réalisés sur la même parcelle. Le rendement est faible : on peut descendre jusqu’à 12 hl/ha pour les plus grands liquoreux, contre 50 hl/ha pour un vin blanc sec classique (source : Guide Hachette des Vins).
La magie du botrytis cinerea, la fameuse « pourriture noble »
C’est le phénomène déterminant pour les plus grands vins moelleux d’Anjou. Le botrytis cinerea, surnommé « pourriture noble », est un champignon microscopique qui ne survient que dans des conditions très particulières :
- Alternance de brumes matinales venant de la Loire et d’après-midis ensoleillés
- Ventilations naturelles liées aux coteaux
- Absence de pluie pendant la récolte
La « pourriture noble » transperce la peau du raisin et provoque une évaporation lente de l’eau de la baie. Résultat ? Les sucres et les arômes se concentrent. Le botrytis modifie aussi la composition aromatique par la formation d’éthers et de composés qui accentuent les notes miellées, d’abricot sec, de fruits exotiques (source : Jancis Robinson, The Oxford Companion to Wine). L’apparition du botrytis n’est jamais systématique, et chaque millésime livre sa part de surprise.