Comment obtenir des vins rouges tout en souplesse : explorons les secrets de la vinification délicate


5 juillet 2025

Pourquoi certains rouges sont-ils doux comme des soieries ?

Au détour d’une dégustation d’Anjou Gamay ou d’un Pinot noir de Loire, beaucoup se demandent : qu’est-ce qui rend certains rouges d’une souplesse presque gourmande, alors que d’autres s’imposent par leur charpente ou leur structure tannique ? Tout se joue dans une alchimie complexe entre cépage, terroir… et surtout, méthode de vinification. De la maîtrise de la macération à l’art du choix des contenants, chaque geste compte pour ciseler un vin rouge tout en finesse voire chatoyant de fruit. C’est ce voyage que nous vous proposons aujourd’hui : explorer les coulisses des rouges souples, frais et peu tanniques, pour mieux les comprendre et les apprécier.

A la racine de la douceur : les cépages naturellement peu tanniques

Avant même de parler de technique de cave, impossible de faire l’impasse sur le choix du cépage. Sur la planète vin, tous les raisins ne jouent pas sur le même registre tannique :

  • Gamay : héros discret de la Vallée de la Loire, et star du Beaujolais, il donne des rouges friands, portés sur le fruit, aux tanins soyeux, voire quasiment absents dans certaines cuvées villageoises.
  • Pinot noir : roi de Bourgogne, il brille aussi sur les vieilles vignes du Saumurois ou dans quelques Anjou villages. Naturellement pauvre en polyphénols, il offre finesse, fraîcheur et onctuosité, surtout quand sa vinification reste douce.
  • Côt (Malbec) : malgré sa réputation tannique à Cahors, il s’assouplit merveilleusement sur les terres ligériennes, où l’on recherche davantage la gourmandise que la puissance.

Les vins issus de cépages à petits grains, à peau fine ou à chair généreuse (comme le Pineau d’Aunis, cher à l’Anjou), tendent aussi naturellement vers plus de légèreté.

La clé de la souplesse : maîtriser la durée et la température de macération

Le vrai secret des rouges peu tanniques, c’est la façon dont le jus reste au contact des peaux. Pour simplifier :

  • Une macération courte (de quelques jours à une semaine) extrait surtout la couleur et les arômes fruités, mais peu de tanins : c’est la technique de prédilection pour élaborer des vins souples et frais.
  • À basse température : plus la température reste modérée (souvent entre 18 et 22°C), plus on retarde l’extraction des tanins et on préserve le fruité.
  • Remontages légers : limiter les extractions mécaniques (pigeage, remontage), c’est éviter d’arracher trop de tanin aux peaux et pépins.

Dans le Beaujolais, où la souplesse est reine, il n’est pas rare de ne macérer que 4 à 8 jours, contre parfois plus de trois semaines en Bordelais pour des vins de garde. Dans l’Anjou, pour un Rouge léger destiné à être bu jeune, la fourchette classique oscille entre 6 et 10 jours (source : IFV - Institut Français de la Vigne et du Vin).

La macération carbonique : technique star des rouges gouleyants

Impossible d’aborder cette thématique sans détailler la méthode phare du Beaujolais, mais aussi très présente en Loire : la macération carbonique. Ce procédé consiste à vendanger en grappes entières et à placer les raisins dans une cuve saturée de CO.

  • Les cellules du raisin se « vinifient de l’intérieur » en absence d’oxygène, ce qui engendre la production de composés aromatiques typiques (fruits rouges, banane, bonbon anglais) tout en limitant l’extraction des tanins.
  • Aucune intervention mécanique forte : la grappe reste intacte, les peaux sont préservées.
  • Au final : des vins légers, peu astringents, d’une grande buvabilité.

Cette technique, parfois adaptée en « semi-carbonique » (comme souvent en Anjou Gamay), est particulièrement adaptée aux cépages friands. Elle est également utilisée dans certaines cuvées de Cabernet Franc visant la fraîcheur, avec des macérations de 5 à 7 jours (source : Vignerons indépendants de France).

L’art de la vinification en grappes entières

Outre la macération carbonique, le choix de vinifier tout ou partie de la vendange en grappe entière (avec rafles) joue sur la perception de souplesse :

  • Pour les raisins mûrs, la rafle peut apporter un supplément de fraîcheur, des tanins plus ronds et une sensation de légèreté.
  • Attention, une rafle pas assez mûre donne une impression végétale désagréable. Bien maîtrisée, elle favorise pourtant des rouges fins et subtils, comme nombre de Sancerre ou de Bourgogne (source : Bourgogne Aujourd’hui).

Des contenants qui préservent la tendresse du jus

Le choix des contenants pendant et après la fermentation influence la texture finale :

  • Vinification et élevage en cuve inox : populaires pour les rouges sur le fruit, elles préservent la fraîcheur sans extraction ni micro-oxygénation additionnelle.
  • Amphores et jarres : reviennent en force pour leur capacité à affiner le vin sans l’alourdir, tout en développant une complexité élégante.
  • Bois : l’apport de barriques neuves est souvent réduit au minimum, voire supprimé, pour éviter de surcharger le vin en tanins extraits du bois.

Un exemple frappant : nombre de vignerons d’Anjou ont réintroduit de vieux foudres ou des amphores pour révéler la finesse du Grolleau Noir ou de certains vins de Pineau d’Aunis (source : Val de Loire Millésime).

Quand la vigne fait sa part… des vendanges à leur parfaite maturité

La gestion de la maturité du raisin lors de la vendange influe elle aussi sur le profil tannique :

  • Un raisin récolté trop tôt, peu mûr, apporte davantage d’astringence et des tanins verts,.
  • À l’inverse, un raisin parfaitement mûr gagne en sucrosité naturelle, les tanins sont plus ronds et la texture de bouche est toute en souplesse.
  • Pour les rouges peu tanniques de Loire, la vendange vise souvent une maturité « compote framboise mûre » : suffisamment avancée pour la rondeur, sans basculer dans la lourdeur.

Les gestes de l’œnologue : clarification, filtration et sulfites

Après la fermentation, d’autres choix techniques viennent jouer sur la sensation de souplesse :

  • Clarification douce : passer le vin sur lies fines favorise la rondeur et limite la sensation de tanin.
  • Filtration légère : une filtration trop poussée peut « durcir » le vin. Beaucoup de vins friands de Loire sont faiblement filtrés pour conserver du gras.
  • Gestion prudente des sulfites : une faible dose de SO lors de la mise en bouteille permet de préserver la fraîcheur sans verrouiller le vin.

Où trouver ces rouges souples et peu tanniques ?

La France regorge de terroirs mettant en avant ce style :

  • Beaujolais (surtout villages et Beaujolais nouveau)
  • Touraine Gamay, Anjou Gamay et quelques cuvées de Pineau d’Aunis (Val de Loire)
  • Pinot Noir de Sancerre ou de Bourgogne (village et régionaux, en vinifications légères)
  • Languedoc : certains Cinsaults, au sud de Montpellier, sur le fruit, sans bois.

Un chiffre révélateur : en 2023, la production française de vin issus d’une vinification courte et peu extraite (tout profil confondu) est estimée à plus de 8 % du volume national en rouge (source : FranceAgriMer).

Comment reconnaître un rouge souple à la dégustation ?

  1. La couleur est souvent assez claire, voire rubis éclatant.
  2. Le nez est marqué par des notes de fruits rouges frais (fraise, cerise, groseille) et parfois des touches florales.
  3. La bouche glisse sans accroche, avec peu ou pas d’astringence, finale gouleyante et très digeste.
  4. Aucun effet « langue râpeuse ». Les tanins, quand ils existent, apparaissent fondus, jamais asséchants.

Les profils des amateurs changent : la souplesse séduit les nouvelles générations

Fait marquant : la demande en vins rouges légers et fruités a doublé en 10 ans sur le marché français urbain, passant de 12 % à 23 % de parts de marché sur le créneau des moins de 35 ans (source : Wine Intelligence 2022). Moins de bois, plus de fruit, plus de fraîcheur, c’est le cahier des charges d’une nouvelle génération d’amateurs qui plébiscite la convivialité et la facilité d’accords mets-vins (planche, pique-nique, tapas).

Petit panorama de vignerons emblématiques

  • Famille Desvignes à Morgon : leur travail en macération semi-carbonique séduit par la pureté du fruit.
  • Laurent Saillard (Loire, Pineau d’Aunis gamayifié) : ses vinifications très courtes donnent des rouges à la texture aérienne.
  • Julie Balagny (Fleurie) : ses cuvées sont la quintessence de la souplesse et du fruit, vinifiées naturellement.
  • Château de Fosse-Sèche (Saumur) : en jouant sur la vendange entière et une extraction ultra douce, on obtient des rouges de Loire qui font merveille à l’aveugle contre des Bourgognes réputés pour leur finesse.

Pour aller plus loin : explorer, tester, s’ouvrir

La vinification de rouges souples n’est ni un gadget de mode ni réservée à quelques initiés : elle prolonge un art paysan ancien, tout en résonnant avec les goûts actuels. Chaque région et chaque vigneron y inscrivent leur signature : à vous de goûter, comparer, et surtout d’interroger les cavistes et les vignerons sur leurs choix de macération, de cépage, et de cuverie. Car derrière chaque rouge friand, il y a la passion d’un artisan… et le plaisir de la découverte dans votre verre.

En savoir plus à ce sujet :